Une compagnie théâtrale, fondée par comédien Frédéric Ferrer, qui créé des spectacle-conférences, ce phénomène qui nous projete simultanément dans un théâtre et dans une salle de conférence.

J’avais le privilège de parler avec Frédéric Ferrer, et de lui demander comment il fabrique ses spectacles, et comment il envisage ce paysage liminal où il joue, en tant que créateur et interprète.

Jusqu’ici, les sujets des spectacles sont écologiques ou zoologiques. Ils sont des « cycles » de plusieurs spectacle-conférences, comme le cycle Chroniques du Réchauffement « un cycle théâtral qui propose une exploration des paysages humains à travers le prisme du changement climatique »[1] et le cycle L’atlas de l’anthropocène, « un recueil de cartographies des bouleversements du monde »[2]. Maintenant, à l’approche des Jeux olympiques 2024 à Paris, Ferrer affranchi un nouveau domaine avec une série de six performances qui aborde, ou aborderont, six épreuves olympiques.

Certains spectacles impliquent plusieurs interprètes, mais je focalise ici sur les spectacles solos, qui ressemblent aux présentations les plus typiques de colloque ou conférence : un conférencier, un Powerpoint, et pas assez de temps pour tout dire. Dans ces spectacles, Ferrer joue le rôle d’un conférencier enthousiasmé, un peu débordé par son sujet, qui, accompagné de son Powerpoint inéluctable, nous embrouille dans une logique farfelue – au grand divertissement des spectateurs.

La ressemblance aux présentations académiques est forte. Parfois, l’endroit n’est même pas un théâtre, mais une salle de cours ou salle de conférence. Ferrer est là avec son ordinateur, son projecteur vidéo et son Powerpoint. De temps en temps, les étudiant-spectateurs imaginent, au début, que c’est une présentation sérieuse, ils prennent des notes, puis, vingt minutes plus tard, ils arrêtent et regardent autour d’eu, perplexes, parce que ce n’est pas tout à fait une présentation de conférence. Mais pourquoi non ? Quels sont les signaux qui indiquent que c’est un spectacle ? Ce ne sont pas les contenus fantaisistes, tout ce que Ferrer dit sur scène est vrai, documenté, exacte, avec des sources reconnues qu’il cite parfois pendant la performance. Il se consacre à des années de recherche pour produire un spectacle. Il collabore avec des laboratoires, il conduit des entretiens avec des experts, il lit les publications scientifiques. Et c’est bien possible d’apprendre quelque chose en l’écoutant. Alors, est-ce que c’est, en fait, une conférence, malgré son côté théâtral ?

La réponse : « Si, c’est une conférence, c’est une conférence un peu particulière… Le but de cette conférence n’est pas d’informer, n’est pas de tenir un discours informatif. Le but de cette conférence est de répondre à une question. C’est là qu’on s’éloigne d’une conférence savante. » [3]

Et voilà, un terme très utile pour une conférence académique, et la différence clé qui la sépare du spectacle-conférence. Comme cette réponse indique, chacun des spectacles de Ferrer commence par une question, telle que « comment des êtres humains arrivent-ils à projeter leur corps aussi haut ?»[4]. La dramaturgie du spectacle consiste en l’histoire de la quête du conférencier pour trouver la réponse à la question d’origine.

Cette objective, cette dramaturgie, en combinaison avec l’importance de la recherche et l’exactitude, sont au cœur de la mission que Frédéric Ferrer se donne :

« Si vous faites une démonstration totalement absurde et folle, mais que tous les éléments à l’intérieur sont les témoignages de gens bien vivants et réels, et de documents attestés, alors ça interroge. Je cherche ça, en fait, cette limite entre le réel et le régard décalé qu’on peut porter sur le réel, justement pour pouvoir le régarder autrement, ce réel.»[5]


[1] Copié du site https://www.verticaldetour.fr, le 06/04/2021

[2] ibid

[3] Frédéric Ferrer, au cours de notre entretien le 22 février 2021

[4] Je vous conseille vivement d’aller voir les extraits du spectacle-conférence sur cette question ici

[5] Frédéric Ferrer, ibid.